Lorsqu’on parle marketing dans l’automobile, son nom résonne comme une référence. Arnaud Belloni a en effet occupé dans cette industrie de nombreuses fonctions, d’abord chez Renault, ensuite au sein du groupe VW puis plus de onze ans chez Fiat-Chrysler avant d’intégrer le Groupe PSA en tant que Directeur Marketing Monde de Citroën en septembre 2015. Entretien.
Arnaud Belloni, Directeur Marketing Citroën
AUTOMOTIVE MARKETING (AM) : En quelques mots, pourriez-vous nous parler de votre parcours, qui vous a conduit aujourd’hui à la tête du Marketing de la marque Citroën ?
Arnaud BELLONI (AB) : J’ai un parcours relativement complet et logique de « car guy » selon les mots de notre PDG, Carlos Tavares. Je me définis comme un « pure player » du marketing automobile. J’ai travaillé dix années chez Renault, cinq dans le groupe Volkswagen pour la marque SKODA, onze années chez Fiat et désormais depuis trois ans à la tête du Marketing de Citroën. Dans ce parcours, j’ai eu la chance de faire tous les métiers du marketing ce qui me permet aujourd’hui, au contact de mon équipe, de bien comprendre le rôle de chacun, ses difficultés et son potentiel d’accélération quand je juge que cela ne va pas assez vite.
AM : Après trois années au sein du Groupe PSA, quelles différences les plus notables observez-vous par rapport à vos entreprises passées ?
AB : J’ai eu la chance de travailler dans quatre groupes automobiles avec des cultures très différentes : française d’abord, puis allemande, italo-américaine ensuite avant de revenir dans un groupe français. Mon constat chez PSA est le suivant : nous sommes un groupe très agile, rapide, et désormais apaisé. Travailler chez PSA, ce n’est pas toujours facile, bien entendu, mais c’est très agréable car il y a un vrai respect des individualités, des personnalités et de la vie privée, ce qui n’est pas toujours le cas dans d’autres entreprises. Nous sommes au sein d’une organisation qui récompense l’efficacité et les succès. C’est, à mes yeux, le meilleur compromis dans la personnalité, l’organisation, la vitesse, la créativité et la capacité de faire.
AM : Quel bilan tirez-vous de vos trois années à la tête du marketing Citroën ? Quels ont été les plus grands chantiers menés ?
AB : Je pense, très modestement, que la marque est moderne et désintoxiquée de la remise. L’année qui a précédé mon arrivée, notre plan média TV, six mois sur douze, mettait en avant des offres principalement promotionnelles. Cela n’existe plus. Aujourd’hui, il n’y a que des films qui parlent du produit ou de la marque. Il a fallu pour cela la repositionner et la relooker. Certes, parmi le grand public, tout le monde ne l’a pas encore perçu car cela prend du temps : à mon arrivée, on s’est donné entre six et dix ans et nous sommes donc aujourd’hui à peu près à mi-parcours.
Par le passé, j’ai travaillé dans des marques en difficulté et le repositionnement prend du temps, surtout quand il n’y a pas de produit. Or, nous avons la chance que ce renouveau de Citroën coïncide avec le renouvellement complet de la gamme que j’ai la chance de mettre en scène depuis mon arrivée, avec deux lancements par an. Nous avons ainsi la possibilité de nous appuyer sur un plan produit très cohérent avec un « look & feel » clair : des produits compétitifs, c’est-à-dire esthétiquement puissants, personnalisables, bien équipés, avec peu de compromis, des technologies d’aide à la conduite au niveau des meilleurs et une très forte identité.
Cela a commencé avec C4 Cactus en 2014 qui est devenu la référence stylistique et le point de départ de l’ensemble des produits suivants qui sont tous, à leur manière, des « bébés » de C4 Cactus.
En résumé, Citroën est une marque moderne, désintoxiquée de la remise et relookée. Et le juge de paix, ce sont les ventes mondiales qui, sur le 1ersemestre 2018, ont crû de 9%. Une progression qui s’effectue sur des canaux de commercialisation sains et profitables : les particuliers et les ventes sociétés.
« Citroën est une marque moderne, désintoxiquée de la remise et relookée. Et le juge de paix, c’est la progression des ventes mondiales. »
AM : A l’aune de son centenaire, comment décririez-vous la marque Citroën d’aujourd’hui ? Quelle est son positionnement sur le marché ?
AB : Citroën est une marque populaire au sens noble du terme, d’origine française, centenaire l’an prochain et fière de son héritage confort.
Pour vous expliquer ce que j’entends par marque populaire au sens noble du terme, je vais prendre mon propre exemple à titre d’illustration. Pendant mon enfance, même sans être un « fan » de Citroën, la marque faisait naturellement partie de ma vie : le PDG de l’entreprise où travaillait mon père avait une DS. J’habitais en province et les commerçants, qui venaient à domicile à cette époque, avaient un Type H tandis que mon voisin, qui m’emmenait à l’école, roulait en 2CV. Une marque populaire, c’est ça : une marque ancrée dans le quotidien des Français. Si je fais le parallèle avec un autre secteur, je citerai le journal « L’Equipe ». Du directeur à l’employé de bureau en passant par la personne de l’accueil, tout le monde lit le journal « L’Equipe », ce qui crée du lien social. Au final, nous avons tous un lien avec ce journal. Et nous avons tous un lien avec Citroën.
Donc si on fait bien notre travail, cela signifie que, dans une même entreprise, tout le monde, à son niveau, peut avoir une Citroën. Les cadres roulent en SUV C5 Aircross, leur femme ou mari roule en C3 Aircross, ils partent en vacances en famille avec un de nos vans SpaceTourer et peut-être que, dans quelques années, le PDG roulera dans la remplaçante de la C6 !
AM : Quel est son positionnement sur le marché ?
AB : Notre place est claire : nous sommes au cœur du marché : il y a des constructeurs plus chers que nous comme Volkswagen ou Peugeot, mais il y a aussi des constructeurs moins chers comme Dacia ou encore Ford, (…). J’aime citer la phrase de Xavier Peugeot (NDLA : Directeur du Produit Citroën) car je trouve qu’elle résume bien notre positionnement : on s’autorise tout, on ne s’interdit rien ! Si on réussit ce qu’on entreprend depuis quelques années avec la marque, peut-être que nous aurons un jour un ou deux produits « icône » totalement inattendus, qui ne seront pas seulement au cœur du marché mais au-dessus, un peu différents de tout ce qui existe.
« On s’autorise tout, on ne s’interdit rien! »
AM : Vous semblez d’ailleurs assumer pleinement l’esprit « français » de la marque ?
AB : L’origine française, nous la revendiquons ! Si Renault est rattachée à Boulogne, nous sommes nés à Paris, dans le 15earrondissement ! Bien évidemment, nous sommes une marque « mondiale », en étant par exemple la 2èmemarque la plus collectionnée au monde. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons lancé le label « Oui are French » il y a deux ans. C’est né au départ un peu comme une plaisanterie qui voulait dire qu’on était français mais de manière moderne et pas politique. On voulait trouver un truc « cool » car on trouve qu’être français, c’est cool ! Mais il y a un vrai mouvement de fond derrière : la marque « France » est un outil de « soft power » incroyable ! Le monde entier veut venir à Paris, boire du vin français, s’habiller avec de la Haute Couture française, le monde entier veut acheter des Airbus : il y a vraiment là quelque chose de très fort.
Ainsi, une de mes décisions « publicitaires », outre l’arrêt de campagne purement promotionnelle, a été d’arrêter d’acheter les droits de musiques américaines très connues pour plutôt promouvoir des artistes français. Sans toutefois reprendre des musiques d’artistes très connus comme le groupe « Téléphone ». Nous avons volontairement choisi de collaborer avec de jeunes artistes, peu connus, pour aider à les faire connaître et grandir avec nous : Part Time Friends pour Citroën C3, Blow pour SUV compact C3 Aircross, Superjava pour Nouvelle berline C4 Cactus, Un Groupe Français pour Nouveau Berlingo et prochainement YEAST pour SUV C5 Aircross, …
Ce sont ainsi des partenariats gagnants-gagnants : de notre côté, nous payons des droits d’utilisation moins élevés tandis que nous leur donnons accès à de nouveaux publics puisque nos campagnes sont diffusées dans le monde entier. Chacun aide à faire connaître l’autre, lui ouvre des publics différents.
Badge “Oui are French” Citroën
AM : Vous axez d’ailleurs vos partenariats avec des marques françaises ?
AB : Oui, c’est le cas, notamment pour nos séries limitées. Bien entendu, nous entretenons nos belles collaborations avec des marques étrangères comme c’est le cas avec Rip Curl. Mais nous allons aussi chercher des marques françaises comme « Elle », « Courrèges » ou dernièrement Jean-Charles de Castelbajac.
Au-delà de l’aspect « série limitée », collaborer avec Jean-Charles de Castelbajac, c’est pour moi presque un automatisme. C’est un artiste performer français populaire. D’ailleurs, lors de nos échanges, il nous a clairement exprimé sa volonté de faire un partenariat avec une marque grand public comme il peut le faire avec nous ou la marque « Rossignol ».
C’est pourquoi, nous présenterons en Première Mondiale au prochain Mondial de l’Automobile de Paris une série limitée à 99 exemplaires de Citroën C3 conçue en partenariat avec Jean-Charles de Castelbajac. Série limitée qui sera, à cette occasion, vendue exclusivement sur Internet ! C’est à son initiative car après l’exemplaire unique E-MEHARI qu’il a réalisé pour les cinquante ans de l’icône Méhari, il a voulu travailler avec nous sur un modèle plus grand public. Et nous l’avons fait. En très peu de temps d’ailleurs!
Jean-Charles de Castelbajac et la C3 JCC+
Enfin, le couronnement des origines françaises que nous revendiquons avec fierté, c’est aussi, pour moi, la relocalisation de la production, avec l’arrivée de C5 Aircross dans l’usine de Rennes.
AM : En peu de temps également, vous avez mené de nombreux chantiers : le lancement de « La Maison Citroën », le site « Citroën Origins », la nouvelle signature de marque « Inspired By You », une campagne de marque, … Comment ces choix se sont-ils opérés et comment s’inter-connectent-ils ?
AB : Pour tout vous dire (NDLA : Arnaud Belloni réalise un schéma sous nos yeux), j’ai une recette. Une recette qui consiste à magnifier, impacter et raconter des histoires.
Magnifier tout d’abord, et sans aucune arrogance dans mon propos, c’est, en toutes circonstances, valoriser la marque : au travers de showrooms relookés, de produits dérivés de qualité, de publicités qui racontent des histoires liées à la marque ou au produit avec une idée par film : les suspensions pour berline C4 Cactus, une aide à la conduite pour C3, …
Impacter, c’est la nécessité d’émerger, particulièrement quand j’ai moins de moyens que les autres. En m’appuyant sur mon expérience : lorsque j’étais chez SKODA par exemple, j’ai été à l’origine, avec François Ruppli, du partenariat avec le Tour de France. Et regardez, ce dernier est toujours d’actualité plus de dix ans après (NDLA : Arnauld Belloni avait réagi à une de nos publications Facebook sur le Tour de France pour nous expliquer la mise en place du partenariat original). Il est important de toujours aller chercher des idées et les appliquer avec cohérence : ma manière de faire des films est originale, ma manière de relooker des showrooms doit l’être aussi ! Ainsi, « La Maison Citroën » ne ressemble à aucune autre et nous sommes mêmes copiés !
Enfin, raconter des histoires, ce qu’on appelle le « story-telling », n’est réellement devenu possible qu’avec l’arrivée de Facebook en 2007 et des réseaux sociaux. Aujourd’hui, les gens adorent ça parce qu’on leur raconte des histoires : ils aiment les influenceurs pour lire des histoires émotionnelles, tout comme ils aiment Instagram pour voir des histoires artistiques ou encore LinkedIn pour découvrir des histoires économiques.
Chez Citroën, on s’attache à magnifier ces histoires par le design, le confort, les aides à la conduite et on les adapte à chaque réseau qui doit avoir sa propre ligne éditoriale : on ne s’exprime pas de la même manière sur Facebook que sur LinkedIn et ainsi de suite.
« Le fait de magnifier, impacter et raconter des histoires nourrit notre obsession d’être une marque forte, respectée et respectable. »
AM : Si on rentre un peu dans le détail, pouvez-vous nous expliquer la genèse de certains projets comme « La Maison Citroën » ?
AB : Le brief est au final assez simple : Linda Jackson (NDLA : Directrice Générale de Citroën) est venue me voir en m’expliquant qu’elle voyait très bien, d’un point de vue produit, comment installer Citroën comme la marque référente en termes de confort : c’est le programme « Citroën Advanced Comfort » avec un travail sur les suspensions, les sièges, etc. Mais elle voulait savoir comment cela allait se traduire sur le reste. Ma première remarque a été alors qu’il fallait nous occuper des points de vente : il faut en effet qu’on « accueille » les gens comme dans leur maison, leur appartement ou, du moins, comme dans la maison ou l’appartement « aspirationnel » pour eux.
La Maison Citroën chez PSA Retail
AM : Et le site Citroën Origins ?
AB : Le site part d’un constat simple et pourtant inouï : pas ou peu de constructeurs partagent leur héritage avec le plus grand nombre. Or, nous sommes fiers de cet héritage puisqu’il est riche de produits emblématiques. Il fallait donc les montrer et expliquer la continuité, la logique, avec le Citroën d’aujourd’hui. C’est ce que permet Citroën Origins, avec le succès que l’on sait d’ailleurs.
AM : Et la décision de changer votre signature de marque, devenue « Inspired By You » ?
AB : Le renouveau de Citroën s’appuie aussi sur le client que nous plaçons au cœur du dispositif de réflexion. D’où notre notre signature « Inspired By You » qui le revendique. Cela ne doit pas être simplement perçu comme une affirmation, mais comme quelque chose que l’on fait vraiment : avec Citroën Advisor, Citroën est la seule marque automobile qui permet à nos clients de noter les points de vente, les produits, sans censure. D’ailleurs, petit scoop de rentrée : dans cinq pays européens, les clients vont désormais pouvoir noter les vendeurs sur Citroën Advisor, c’est une vraie disruption !
Car si on affirme que nous sommes « inspirés par nos clients », on doit leur montrer qu’on les respecte. Nous allons encore plus loin : tous les trimestres, nous passons en revue ce que nos clients écrivent sur notre marque, nos produits. Il peut y avoir des critiques « produit », et nous voyons avec les équipes produit comment les améliorer, mais il y a aussi des critiques « marketing » où un client va par exemple dire qu’il ne sait pas utiliser telle ou telle aide à la conduite. Et là, on peut très facilement réagir et produire un tutoriel pour améliorer ça !
« Notre signature « Inspired By You » ne doit pas être simplement perçue comme une affirmation, mais comme quelque chose que l’on fait vraiment : avec Citroën Advisor, Citroën est la seule marque automobile qui permet à nos clients de noter les points de vente, les produits, et bientôt les vendeurs.»
AM : Est-ce que cela fait que le profil de vos vendeurs en concession change ?
AB : C’est un sujet sur lequel nous travaillons. Mais on ne doit pas changer fondamentalement qui ils sont : mon métier, c’est avant tout du bon sens. On doit les aider à devenir les meilleurs ambassadeurs en leur donnant les clés et outils pour cela. Ainsi, aujourd’hui, lorsqu’on client passe la porte, il est déjà renseigné sur les prix et les équipements du modèle qu’il vient voir. Mais il doit pénétrer dans un espace qui va le faire rêver, « La Maison Citroën » ou les nouveaux standards d’accueil de nos concessions, et le vendeur doit lui apporter l’information supplémentaire. Sur la suspension par exemple, prendre le temps d’expliquer que la technologie a été initialement développée pour le rallye, puis adaptée à la vie série par nos ingénieurs qui en avaient perçu le bénéfice en termes de confort.
AM : Y-a-t-il des différences de perception de Citroën sur les marchés et si oui, comment gérez-vous cela ?
AB : La marque est unique et mondiale. On pense « global » et on agit « local ». Il y a donc un squelette identique avec quelques adaptations locales liées aux spécificités des marchés. Si on ne fait pas ça, la marque se perd, se dilue. Ainsi, la signature « Inspired By You », est déployée dans le monde entier. Et point positif, l’équipe chinoise l’a adoptée quasiment immédiatement alors qu’elle avait, par le passé, mis cinq ans avant d’utiliser « Créative Technologie ». Tout ceci démontre bien la cohérence de notre démarche. D’ailleurs, le confort devient aussi le thème central de communication du C5 Aircross en Chine, ce qui n’était pas le cas lors du lancement. Nos amis chinois ont admis que c’est un élément décisif et différenciateur sur le marché.
Nous avons ainsi un marketing global imaginé en France, par des talents internationaux chez nous et au sein de notre agence BETC Traction dont les créatifs sont de toutes origines, et on écoute aussi les besoins de chaque pays. Mais aujourd’hui, quand je lance un nouveau produit, il y a un ou deux films uniques utilisés partout dans le monde. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai systématisé les pré-tests. Si un film ne franchit pas ce cap, je ne le prends pas. Ce qui, d’ailleurs, me demande une grande rigueur et pas d’amour propre. Pour l’anecdote, depuis mon arrivée, j’ai « tué » deux films que je jugeais pourtant sublimes et que, sans doute, plus jeune et sans pré-tests, j’aurais choisi d’utiliser.
AM : Sur LinkedIn, où vous êtes très actif, et nous en reparlerons, vous nous avez raconté que certains pays ont traduit la signature de nouvelle C4 Cactus « Comfort is the new cool », ce qui n’était d’ailleurs par votre souhait. Quelles en sont les raisons ?
AB : Deux pays l’ont fait. La Hongrie, pour des raisons assez simples, s’affranchir d’un contexte politique puisqu’un parti utilisait semble-t-il un slogan proche. Leur choix était donc logique et respectable. Et la France, je l’ai accepté, mais honnêtement, ce slogan est bien mieux en anglais et d’ailleurs, pour les prochaines vagues de communication, il y sera, y compris en France. Petit scoop d’ailleurs : nous allons prochainement lancer une communication sur notre gamme de berlines et c’est ce claim « comfort is the new cool » qui sera repris car il correspond bien à l’ADN de confort des berlines Citroën.
« Comfort is the new cool correspond bien à l’ADN des berlines Citroën. »
AM : Nous avons interrogé plusieurs distributeurs Citroën sur tous ces changements d’image et de repositionnement que la marque opère. Ils sont plutôt positifs même si tout cela va vite pour eux. Quelle est la perception que vous en avez de votre côté ?
AB : Ils le vivent plutôt bien ! D’ailleurs, précision importante : on a relooké le réseau, mais sans pour autant en faire des « Maison Citroën », qui est un concept avant tout urbain. En fait, toutes nos actions ont un but : rendre la marque plus forte. Car cela permet de vendre, et de vendre mieux. Je n’imagine pas une action marketing réussie si elle ne fait pas vendre. Ce qui demande par ailleurs une grande rigueur au marketing, parfois accusé de tous les maux. Chez nous, il ne faut pas céder à la panique dès lors qu’un mois, les objectifs commerciaux ne sont pas remplis. Cela ne doit pas signifier de tout remettre en question. Pour cela, il faut avoir un peu d’expérience pour être solide et donner du temps au temps.
AM : On a toutefois pu lire quelques critiques de distributeurs, notamment sur la gestion de leurs stocks… ?
AB : Ce qui est logique. Avant, pour caricaturer, on vendait des voitures grises, intérieur gris avec des jantes grises…. Maintenant, on vend des voitures colorées, souvent avec un toit bi-ton, des Airbumps optionnels, des jantes personnalisables, un intérieur au choix. On vend, en quelque sorte, une « coque » de base, plus accessible, qu’on vient agrémenter par de la vente additionnelle, plus rémunératrice. C’est bénéfique pour nous comme pour le réseau, mais ça demande une modernité commerciale qui prend du temps. La morale : il nous faut davantage expliquer. A mon niveau, davantage expliquer et aider les pays afin qu’ils soient en mesure d’expliquer et d’aider leurs distributeurs respectifs.
AM : En tant que Directeur Marketing, comment déployez-vous cela sur la plate-forme globale de communication sur tous les touch points de l’activité de Citroën (SAV, fleet, VU,…) ?
AB : Nous sommes justement dans la phase de conception. Logiquement, Linda Jackson me demande de déployer « Inspired By You » sur l’ensemble de nos centres de profits qui sont le VN mais aussi l’après-vente, les véhicules utilitaires, l’occasion… Notre promesse publicitaire doit se vérifier partout : en communication par exemple, où pour les professionnels, « Inspired By You » se décline en « Inspired By Pro ». D’un point de vue physique, en relookant tous les espaces à la manière de « La Maison Citroën » et des nouveaux intérieurs de concessions. Ainsi, on va moderniser les centres occasions « Select », les espaces professionnels vont devenir « La Manufacture Citroën » et l’après-vente va garder le nom « L’Atelier Citroën » en bénéficiant également d’une modernisation. Tout cela va se déployer dans les trois à quatre prochaines années, et nous allons d’ailleurs créer pour cela un site pilote à Reims.
AM : Tout cela semble très rapide ?
AB : Oui ! Car comme je vous l’expliquais, nous sommes légers, agiles, rapides et la chaîne de décision est très courte. J’ai une idée avec l’équipe, nous la soumettons à Linda et si elle est d’accord, on lance les projets. Je crois sincèrement que nous sommes aujourd’hui l’une des marques automobiles les plus réactives qui soient ! Si je prends l’exemple de « La Maison Citroën », cela part d’un constat simple : la nécessité de revenir en ville, car tout le monde, y compris les citadins, n’a pas envie d’acheter une voiture sur Internet. Or, en ville, il faut des surfaces petites mais plaisantes et efficaces. En quelques semaines, on a fait réaliser le projet, qu’on a exposé d’abord au Salon de Genève en mars 2016 puis au Mondial de l’Automobile de Paris en octobre 2016 au cœur de notre stand. Et de là, la concession de la rue Saint-Didier à Paris qui a permis de faire vivre et montrer le concept au réseau et tout le monde a apprécié ! D’ici la fin de l’année, nous aurons 25 « Maisons Citroën » : 3 à Tokyo, 2 à Séoul, 1 à Bogota, 1 à Athènes, 3 ou 4 à Paris, 1 à Marrakech… finalement, nous allons vite. Mais hors de question de faire cela dans des endroits où ça ne se justifie pas.
Salon de Paris 2016 : La Maison Citroën
AM : Peut-on, qualifier Citroën de marque « laboratoire » du groupe PSA ?
AB : Je n’aime pas trop ce terme, car il pourrait sous-entendre qu’on accepte l’échec. Je dirai plutôt que Citroën est une marque qui innove tout en restant fidèle à l’esprit d’André Citroën, créatif, intuitif, intelligent, spontané et à l’écoute des autres. Lorsque l’on m’a contacté pour devenir Directeur Marketing de Citroën, je me suis beaucoup documenté. Et j’ai notamment vu un document produit par Arte sur André Citroën et Louis Renault. Lorsque vous regardez ce film, selon moi, vous avez spontanément envie de devenir ami avec André Citroën! Ce qui n’était pourtant sans doute pas le but du réalisateur (NDLA : film “Louis Renault et André Citroën, la course du siècle”, de Hugues Nancy et Fabien Béziat, à voir sur les plate-formes de VOD).
AM : Pour toutes ces idées, quelles sont vos sources d’inspiration ?
AB : Au final, je ne regarde pas trop ce qui se passe dans l’automobile car j’estime que ça me déconcentre. Non, je préfère regarder ce qui se fait dans d’autres univers. Ainsi, Citroën Advisor puise une partie de son idée dans Trip Advisor.
AM : Du fait de votre longue expérience, qu’est-ce qui a selon vous beaucoup changé dans le marketing ?
AB : Ce qui a tout changé : les réseaux sociaux !
AM : Où vous êtes d’ailleurs très actif ! Pourquoi cela ?
AB : J’ai vécu cinq ans en Chine où le seul moyen d’avoir accès à l’information, c’étaient les réseaux sociaux. J’en suis logiquement devenu addict : non pas pour ce qu’ils sont en tant que tels mais pour l’intelligence et l’impact qu’ils ont sur la société. A notre niveau de constructeur, aujourd’hui, on lance une voiture sur les réseaux sociaux. Bien entendu, on présente la voiture aux journalistes mais en amont, on l’aura « teasée » sur les réseaux sociaux auprès de nos communautés. Les réseaux sociaux nous donnent également la force de pouvoir y produire notre propre contenu. Par ailleurs, et vous en êtes un exemple, les journalistes ont fait leur mue et ne présentent pas seulement les nouveautés mais animent leurs communautés en nous posant des questions. Vous êtes devenus des médiateurs, des prescripteurs, des chefs d’orchestre vis-à-vis du public, des fans. Avec les réseaux sociaux, il en est de même pour nous : on interagit avec nos communautés qu’on peut toucher directement.
A titre plus personnel, cela signifie que je peux m’exprimer quand je veux et auprès de qui je veux. Je vais avoir une utilisation plutôt personnelle de Facebook tandis que sur Instagram ou LinkedIn, j’échange avec tout le monde. Je mets un peu de côté Twitter qui est devenu un vrai média, avec parfois des gens malveillants. Je l’utilise alors plus comme un outil de veille, je lis, je like, je retweete, mais j’écris peu. Alors que j’écris beaucoup sur LinkedIn !
AM : Pour finir, lorsqu’on fera dans quelques années le bilan, que pourra-t-on dire : pari réussi pour Citroën si ? Et pour Arnaud Belloni ?
AB : La réponse sera la même : pari réussi pour Citroën comme pour moi si on atteint les objectifs de vente fixés par Linda Jackson, à savoir 1,6 million en 2020 !
« Les réseaux sociaux ont fait évoluer le marketing. Ils nous donnent la force de pouvoir y produire notre propre contenu et d’interagir avec nos fans.»
Un grand merci à Arnaud Belloni pour cet entretien, ainsi qu’à Olivier et aux équipes Citroën pour son organisation.
Documentations, iconographie : via Citroën. Tous DR.