La France investit bien plus en Chine que les Chinois sur notre sol. Au niveau mondial, notre pays est loin d’être la terre d’accueil privilégiée des investisseurs chinois. Nous avons tort de nous en réjouir.
Par Steven Zunz.
L’année 2018 pourrait bien marquer le début d’un regain d’investissements chinois en France… Et tant mieux ! Lors de son voyage officiel en Chine en janvier dernier, le président de la République Emmanuel Macron a déclaré que la France favoriserait les investissements chinois sur son sol, « dès lors qu’ils sont créateurs d’emplois et de croissance pour nos pays et qu’ils s’inscrivent dans des partenariats équilibrés et de long terme ».
Xavier Bertrand, président d’une région ravagée par le chômage, manifestait la même ouverture le 23 avril dernier dans un entretien à Bloomberg, confiant que « dans les Hauts-de-France, bastion traditionnel du Front national, les populations comptent plus sur Pékin que sur Paris pour mettre fin au marasme économique ».
Pourtant, l’opinion publique ignore les bienfaits des investissements étrangers dans notre économie, et continue de crier au loup à chaque arrivée d’un actionnaire chinois dans une entreprise française : par exemple Fosun chez Club Med, HNA chez Pierre & Vacances Center Park, Jin Jiang chez Louvre Hôtel et le groupe Accord, Dongfeng chez Peugeot-PSA Citroën, Plateno à l’Olympique Gymnaste Club de Nice, Casil Europe à l’aéroport de Toulouse-Blagnac, Fortune Fountain Capital chez Baccarat, ou encore China Hongyang qui a acquis 1700 hectares de terres agricoles dans l’Indre en 2016.
Le même émoi s’est encore manifesté en février dernier, quand Fosun a repris la marque de haute-couture Lanvin (qui battait pourtant déjà pavillon étranger, avec une actionnaire majoritaire taïwanaise associée à un Allemand), puis le 11 avril, quand le groupe de prêt-à-porter chinois La Chapelle & Co a racheté Naf Naf (reprenant les 350 boutiques et les 950 emplois en France de la marque, que le groupe Vivarte cherchait à céder en vain depuis un an). Des gros titres des médias au café du commerce, nous n’en démordons pas : « la Chine rachète tout en France ! » Mais cette idée est aussi répandue que fausse.
99% des capitaux étrangers investis dans notre pays ne sont pas chinois
Contrairement à ce qu’on croit, les Chinois et les Hongkongais sont loin d’être les premiers investisseurs étrangers dans notre pays. Ils n’y détenaient que 6 Md€ d’investissements à la fin 2016, selon la Banque de France, soit 1% seulement du montant total des capitaux étrangers investis sur notre sol (697 Md€ selon la Cnuced).
La grande majorité (80%) de cette manne provenait en fait de nos voisins et principaux partenaires commerciaux : le Luxembourg (20,5 %), les Pays-Bas (13,3 %), le Royaume-Uni (11,7 %), la Suisse (10,6 %), l’Allemagne (9,2 %), les États-Unis (qui ont réduit leurs positions ces dernières années et sont descendus à 8,2 % en 2016), l’Espagne (2,3 %), l’Italie (2,8 %) et le Japon (2,1 %). Les Chinois possédaient alors autant d’actifs dans notre pays que les Irlandais.
La France investit quatre fois plus en Chine
On oublie par ailleurs de rappeler que ces 6 Md€ de capitaux chinois injectés en France représentent seulement le quart du montant total investi par 1800[1] de nos entreprises françaises sur le sol chinois. Elles détenaient ainsi 24 Md€ d’actifs en Chine fin 2016, dont la moitié dans le secteur manufacturier (cokéfaction), la chimie, la métallurgie et l’automobile. Ce stock représentait alors seulement 2% de nos capitaux français investis hors de nos frontières.
Que ceux qui voudraient y voir des délocalisations massives pour profiter d’une main-d’œuvre à bas coût, dans une logique éhontée de maximisation du taux de profit de nos grands groupes français, méditent sur ce fait : la France a moins investi dans l’industrie en Chine que dans les usines de production manufacturière en Allemagne (par exemple en 2016, Seb a acheté l’allemand WMF, leader mondial des machines à café professionnelles pour 1,58 Md€, et Atos a acquis l’entreprise de services numériques Unify), en Suisse, en Grande-Bretagne ou encore au Royaume-Uni (citons par exemple la construction d’une centrale nucléaire de type EPR par EDF à Hinkley Point, dans le Somerset). Nous avons également davantage misé dans le seul secteur agro-alimentaire aux Pays-Bas, ou dans le seul secteur automobile au Japon, que dans l’économie chinoise tout entière.
La Chine a d’autres priorités que la France, où elle investit de moins en moins
Au cours de l’année 2017, les investisseurs chinois et hongkongais ont injecté 1 Md€ dans nos entreprises ou nos vignobles, soit à peine 1% des capitaux qu’ils ont placé à travers le monde l’an dernier. Ce flux venu de Chine vers la France s’est tari de 60% par rapport au volume reçu en 2016, soit 2,6 Md€ selon le rapport « China Foreign Direct Investment 2017 » publié par Baker McKenzie en janvier dernier. Le cabinet d’avocats d’affaires internationales souligne que la France ne se classe ainsi qu’au 5e rang des terres d’accueil favorites des capitaux chinois en Europe (derrière la Suisse, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l’Allemagne) et au 6e rang mondial (les États-Unis se plaçant 2e).
Cette situation est regrettable, car la Chine devrait devenir le premier investisseur mondial en stock d’ici à 2020, selon l’Ambassade de France en Chine. Dans une note publiée en janvier dernier, elle soulignait qu’à « fin 2016, les 700 filiales d’entreprises chinoises et hongkongaises établies en France employaient plus de 45.000 personnes ». Davantage d’emplois pourraient être préservés et créés si nous cessions enfin de brocarder les investisseurs chinois. Si nous n’abandonnons pas nos préjugés passéistes, la Chine ira créer ces emplois chez nos voisins. Et notre pays continuera de perdre du terrain sur la scène économique mondiale.
Steven Zunz est l’auteur de La France à vendre ? Pour en finir avec la peur des investissements étrangers, publié aux Éditions Hermann en avril 2018.